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Au sein de la DRH, nous devons constamment naviguer entre l'infiniment petit et l’infiniment grand. En partant d’une situation individuelle, nous identifions des leviers à actionner pour renforcer un processus collectif.

Tous les mois, nous partons à la rencontre d’un décideur RH. Découvrez son parcours, les mille facettes de sa personnalité, ainsi que sa vision de la fonction RH, au travers d’un portrait empreint d’humanité et d’authenticité.

Dès sa sortie de l’ENA en 2006, Frédérique Lancestremère choisit de rejoindre la Ville de Paris, en intégrant sa DRH. D’abord chef du bureau des personnels administratifs et techniques jusqu’en 2011, elle est ensuite détachée au ministère de l’Intérieur, entre 2011 et 2013, en tant qu’adjointe au sous-directeur. Puis, elle réintègre la Ville de Paris, en qualité de sous-directrice des ressources de la Direction des Familles et de la Petite Enfance DFPE, avant de prendre la direction des ressources humaines à partir de 2018. Portrait d’une DRH perspicace et passionnée, au self-control éprouvé, qui revient sur les défis pléthoriques incombant à une structure tentaculaire de 53 000 salariés exerçant 320 métiers différents.

 

Pourquoi les RH ?

Initialement, je viens du secteur associatif. La fonction RH est une évidence qui s’est imposée à moi subtilement. D’abord, par le biais de rencontres avec de grands DRH car, dans ce métier, la question des individualités est assez fondamentale. J’ai choisi le service public, avant tout, par conviction de l’utilité de la fonction. Et je conçois les ressources humaines dans le service public comme un démultiplicateur d’utilité.

Quand on aime se sentir utile, je crois que cette fonction remplit pleinement ce besoin. A la Ville de Paris, cet effet démultiplicateur fonctionne à plein régime puisque la structure rend service à des millions d’usagers, voire des dizaines de millions si l’on ajoute les touristes qui viennent visiter la ville et les travailleurs qui se rendent dans la capitale tous les jours.

 

Votre plus grande fierté professionnelle ?

Ma plus grande fierté professionnelle est d’avoir réussi à développer une politique RH qui permet d’améliorer le quotidien des agents et d’accompagner les salariés. J’officie dans une structure qui allie politique et production avec, à sa tête, un exécutif élu qui a pour objectif de déployer son projet de mandature, la RH étant un levier et non un objectif.

Faire exister une politique RH dans un exécutif politique est pour moi une grande fierté. Deux axes de notre politique me tiennent particulièrement à cœur : le premier vise à développer une véritable culture managériale au sein de la structure. Il s’agit d’un défi de taille pour accompagner nos 6 000 salariés qui occupent une fonction managériale. La plupart de nos managers étant « issus du rang », ils ont besoin d’acquérir, au fur et à mesure, des compétences managériales. Mon rôle est de réussir à développer ces compétences avec des formations et de proposer un soutien managérial adapté afin d’accompagner les montées en responsabilité. Il s’agit d’un sujet essentiel pour moi que nous avons choisi d’articuler autour du Care, c’est-à-dire de l’attention à l’autre.

Un deuxième axe concerne notre politique en faveur de la diversité, de l’inclusion et de la lutte contre les discriminations. C’est une volonté forte d’être un employeur social et de permettre à des personnes qui n’ont pas eu l’opportunité de faire des études d’envisager des perspectives de carrière au sein de la structure. Cet engagement est bien sûr exigeant et nécessite une forte attention vis-à-vis de la lutte contre les discriminations et l’inclusion. Au-delà du fait que nos concours ne requièrent pas de diplômes spécifiques, nos collaborateurs doivent se sentir bien dans leurs missions et trouver leur place, à la fois sociale et professionnelle.

 

Un événement qui a marqué votre vie professionnelle ?

L’événement qui m’a le plus marquée remonte aux attentats de 2015. Je travaillais alors à la direction des familles et de la petite enfance et nous avions, à proximité de l’Hyper Cacher, 5 assistantes maternelles qui avaient 20 enfants auprès d’elles, le jour de la prise d’otage. Nous avons passé toute la journée à soutenir ces professionnelles, ces femmes qui effectuaient leur travail, en étant confinées, sans savoir exactement ce qui se déroulait car elles avaient évidemment coupé la télévision. Nous les avons accompagnées jusqu’au moment où les enfants ont pu chacun retrouver leurs parents. Ce fut une gageure toute la soirée.

Ces moments ont été très marquants pour toute la Ville car, outre ce terrible événement qui s’est déroulé à l’Hyper Cacher, nous devions gérer les 500 crèches de la ville. Nous avons, toute la journée, confiné et déconfiné des crèches lorsque la police nous prévenait qu’un événement semblait se produire à proximité. Puis, le lendemain des attentats, nous avons compté nos blessés et créé, en à peine 24 heures, une cellule de crise psychologique. Nous avons transformé notre centre d’appel en un lieu exclusivement réservé aux psychologues. Ainsi, toute personne, parisienne ou non, pouvait appeler afin d’être mise en contact avec un soutient.

 

Votre pain noir et votre pain blanc de décideur RH ?

C’est le Covid, qui a été notre pain gris. car, bien que cette crise nous ait permis d’accélérer notre transformation sur bien des aspects, elle est aussi la source principale de notre pain noir. Bon nombre de défis que nous devons relever actuellement proviennent de cette période sans précédent.

Pour décrire notre pain blanc, cette crise nous a permis de capitaliser sur des évolutions structurantes. Je pense par exemple au développement de parcours de formation avec la création d’une application innovante : Ville@pp. Via cette plateforme d’enseignement à distance, nous avons pu mener un certain nombre d’actions de formation pertinentes. Nos salariés ont pu, par exemple, créer, eux-mêmes, des contenus de formation et les mettre en ligne.

En revanche, notre pain noir concerne les sujets d’attractivité car la crise a transformé en profondeur notre rapport au travail. Malgré un grand nombre de recrutements, nous avons connu, en parallèle, une vague de départs importante notamment vers des contrées plus maritimes que ne l’est Paris. Il nous est difficile de lutter contre l’attrait des bords de mer et le mode de vie qui en découle. Ces défis sont intéressants à explorer pour la DRH car ils nous incitent à trouver des solutions afin de mettre en adéquation les aspirations de nos salariés avec nos postes à pourvoir.

 

Quelle serait votre devise professionnelle ?

J’aime beaucoup Pierre Dac. Je me suis donc référée au philosophe des philosophes pour l’une de mes devises : “pour voir loin, il faut regarder de près.” Au sein de la DRH de la Ville de Paris, nous devons constamment naviguer entre l’infiniment petit et l’infiniment grand. En partant d’une situation individuelle, nous identifions des leviers à actionner pour renforcer un processus collectif. Je garde à l’esprit qu’il faut toujours avoir des lunettes “à double focale”, pour être en mesure de voir de près ou de loin, en y mettant autant d’importance car les deux visions sont congruentes.

J’ai fait mienne une autre devise du même auteur : “rien ne sert de courir si on n’est pas pressé.” Je la trouve très juste car je crois qu’il nous faut absolument rester maître du temps. Nous avons souvent tendance à nous éparpiller et à rendre urgentes des situations qui ne s’y prêtent pas toujours. En tant que DRH, l’une de mes missions consiste à maîtriser le temps en faisant le tri entre les demandes, quitte à changer les délais, si nécessaire. Je temporise beaucoup pour réguler au mieux les tâches de mes équipes.

 

Le défaut que vous essayez de cacher ?

Un défaut que je cache très mal volontairement est que je suis particulièrement bordélique. En fait,  cela ne me dérange pas beaucoup car je déteste ranger. J’aime que mon bureau soit foisonnant avec des beaucoup de choses, qui illustrent la diversité des sujets que je traite. D’un autre côté, cela stresse mes collaborateurs lorsque je range car ils pensent que je m’en vais, ce qui m’incite encore moins à ranger. J’imagine que cette habitude me permet de créer mon espace de liberté, dans un métier où l’on est sans cesse en interaction avec les autres.

 

La qualité qui fait l’unanimité dans votre entourage ?

Pour répondre à cette question, j’ai sollicité mon entourage et obtenu deux réponses distinctes. Mes pairs reconnaissent ma générosité et ma sincérité dans ma relation à l’autre. Les membres de mon CODIR apprécient ma sérénité et ma capacité à gérer les temps et les commandes, sans rebasculer le flux sur mes collaborateurs. J’essaie, dans la mesure du possible, de mettre la bonne distance avec les situations et les individus, tout en veillant à ne pas me défaire de mon sens de l’humour.

 

Le personnage de fiction qui incarne le mieux la fonction RH ?

Question difficile parce qu’un DRH est forcément un personnage de l’ombre. Or, souvent, les personnages de fiction sont visibilité et aussi plus manichéens et plus complexes que le profil d’artisan du collectif d’un DRH. Après réflexion sur cette dimension collective qui incombe à la fonction, mon choix s’est porté sur Nick Fury, l’homme qui fait le casting dans le blockbuster Avengers. Il constitue l’équipe et la motive avec brio. J’apprécie ses qualités de meneur d’hommes, sa capacité à convaincre, même dans les situations les plus âpres. J’admire le courage chez un DRH, en particulier lorsque le contexte ne plaide pas en sa faveur.

 

La différence entre un bon et un excellent décideur RH ?

Selon moi, c’est quelqu’un qui maîtrise les limites ; les siennes bien entendu, mais aussi celles de ses collaborateurs. C’est le décideur qui ne va pas mettre ses équipes dans le rouge, tout en travaillant sur cette notion de plus-value. Il sait poser les limites quand c’est nécessaire. Cette maîtrise se démontre par une gestion des compétences et du temps à toute épreuve qui rassure son entourage.

 

Votre truc pour motiver vos troupes ?

J’en vois deux qui sont, à mon avis, fondamentaux. Un premier vise à faire en sorte que les collaborateurs se sentent autorisés à prendre des initiatives. Pour motiver ses troupes en 2023, je pense qu’il est indispensable de leur faire savoir qu’ils sont autorisés à penser, à réfléchir, à se tromper, à expérimenter, à essayer et à recommencer. Les paroles ne suffisent évidemment pas. Il faut les associer à des actes, à des preuves concrètes.

Un autre atout à cultiver pour motiver ses collaborateurs consiste à ne jamais se prendre trop au sérieux. Nous ne sommes pas des chirurgiens cardiaques et ne greffons pas en urgence. Nous avons, certes, des missions importantes et urgentes à mener avec beaucoup de sérieux. En revanche, il ne faut pas devenir la caricature de soi-même, cloîtré dans son bureau. Ce principe n’est pas si simple à appliquer car l’époque nous pousse un peu à la caricature. Savoir faire preuve d’autodérision et en autoriser beaucoup autour de soi contribuent à une bonne ambiance de travail.

 

Le DRH du futur selon vous ?

Il s’inspire de l’histoire, vit dans le présent et fait exister les rêves du futur. Il n’est pas si différent du DRH d’aujourd’hui. Il doit savoir d’où vient son entreprise car les cultures professionnelles diffèrent les unes des autres. Il sait s’adapter aux diverses façons de faire, aux projets et aux environnements dans lesquels il évolue.

Sa capacité à vivre dans le présent est primordiale car beaucoup de chantiers sont à mener dès aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre un hypothétique système d’information qui verra le jour dans 3 ans. Nos salariés ont besoin de boucler leur fin de mois dès maintenant. Enfin, il doit être l’un des principaux artisans du changement vers le renouvellement des usages et des processus de l’organisation.

 

Si c’était à refaire, les RH encore et toujours ?

Oui, clairement, les RH encore et toujours. Nous œuvrons tels des petits génies placés aux bons endroits et devons faire en sorte que tout un écosystème fonctionne. J’ai la chance d’avoir des retours de différents niveaux qui nous prouvent notre utilité, ce qui est très gratifiant et nous donne une bonne raison de nous lever tous les matins.

 

Bio

  • Depuis 2018 : Directrice des ressources humaines à la Ville de Paris

  • 2015-2018 : Directrice adjointe des ressources humaines à la Ville de Paris

  • 2013-2015 : Sous-directrice des ressources de la DFPE à la Ville de Paris

  • 2011-2013 : Adjointe au sous-directeur au ministère de l’Intérieur

  • 2006-2011 : Chef du bureau des personnels administratifs et techniques à la Ville de Paris

  • 2004-2006 : ENA – École Nationale d’Administration

 

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