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Prélèvement à la source

Le chantier du prélèvement à la source est désormais lancé. Si la mesure ne devrait s’appliquer qu’au 1er janvier 2018, elle interroge déjà particulièrement les entreprises et les DRH. Quels impacts aura-t-elle sur la gestion de la paie ? Génèrera-t-elle un surcroît de travail dans les services RH ? Quid de la confidentialité des données ? À défaut de connaître toutes les réponses, tour d’horizon des questions posées par une mesure dite simplificatrice, pourtant moins simple qu’il ne paraît à mettre en œuvre.

 

Un principe déjà éprouvé ailleurs

La France est l’un des rares pays de l’OCDE à ne pas pratiquer le prélèvement à la source. Intérêt majeur de celui-ci, il permet de collecter l’impôt des ménages au moment du versement des revenus imposables, autrement dit « en temps réel ». Dans tous les pays ayant adopté ce mode de recouvrement, comme l’Allemagne, c’est l’employeur qui est chargé de retenir à la source les cotisations sociales salariales et la CSG.

On notera que, dans presque tous ces pays, la déclaration annuelle de revenus reste soit obligatoire, soit souscrite par une grande majorité de contribuables quand elle est facultative. Première idée reçue battue en brèche, donc, pour nombre de nos concitoyens : le prélèvement à la source ne les dispensera en rien de procéder à leur déclaration d’impôt. La nécessité d’informer l’administration des changements de situation personnelle (déménagement, divorce…) intervenant en cours d’année subsistera également.

L’ANDRH, qui représente 5000 professionnels des ressources humaines, a réagi à l’annonce de la mesure. Selon l’association, éliminer le décalage d’un an entre la période d’acquisition des revenus et le moment de payer l’impôt peut être « un objectif légitime » s’il implique des « économies de gestion pour l’administration », voire « un coup de pouce à la croissance ». L’association ne manque pas d’alerter, cependant, sur certains risques sur lesquels nous allons revenir. Et elle n’est pas la seule. « Un tel projet va ajouter de la complexité et un stress supplémentaire aux entreprises, à qui l’on demanderait de prélever l’impôt », a déclaré de son côté Pierre Gattaz, président du Medef, au journal Les Échos le 8 juin 2015. De son côté, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) a fait part de ses « vives réserves » à l’égard de la mesure, affirmant redouter un « surcoût significatif » pour les entreprises. Ce climat de défiance est-il justifié ?

 

Un impact réel sur la paie et les services RH

À en croire le conseil des prélèvements obligatoires, le prélèvement à la source pourrait générer une charge de travail supplémentaire « non négligeable » pour les entreprises, et au moins deux types de surcoûts :

un coût d’adaptation lors de l’année de transition : les entreprises vont devoir adapter leurs logiciels de paie, circuits de transfert d’acomptes et d’informations. Il leur faudra également intégrer certaines données dans leur SIRH.
un coût de gestion en régime de croisière : les employeurs devront gérer un nouveau flux d’échanges avec l’administration chaque mois pour le versement des acomptes d’impôt, mais aussi en cours d’année pour ajuster les taux d’imposition.

Même si l’on peut supposer que l’entrée en vigueur en 2016 de la DSN facilitera la transition, les DRH devront tout de même faire face à des écueils opérationnels forts, dont certains inédits pour eux :

• une double responsabilité fiscale et juridique : contrainte à un devoir de collecte et de contrôle des données, l’entreprise en tant que tiers payeur sera tenue d’assumer une responsabilité à la fois fiscale et juridique. En cas de déclaration fallacieuse ou erronée, par exemple, le DRH risque de voir sa responsabilité engagée vis-à-vis de l’administration. Certains salariés, en outre, ne manqueront pas de contester les prélèvements auprès des DRH : un véritable casse-tête en perspective.
une adaptation du logiciel de paie : des mécanismes de calcul qui seront retenus in fine dépendra la complexité de l’adaptation à la solution paie de l‘entreprise. Les logiciels de paie devraient intégrer sans trop de difficultés un taux d’imposition standard avec un barème préétabli, mais un système tenant compte des quotients familiaux, ou des biens du salariés, impliquerait le développement d’une expertise pointue au sein de l’entreprise.
un impact sur de nombreuses procédures : qu’en sera-t-il de l’imposition mensuelle en cas d’acomptes sur salaire ? Comment s’opérera la liquidation des comptes épargne temps lors de l’année 2017, dite de transition ? Etc.

La complexification de la gestion de la paie et les questions corollaires ne sont peut-être, pourtant, que la partie émergée de l’iceberg. La retenue à la source soulève d’autres enjeux, moins directement mesurables, mais pas moins importants pour l’entreprise et les DRH.

 

Une dimension sociale à bien considérer

« La retenue à la source pose des problèmes de confidentialité susceptibles de détériorer le climat social, notamment au sein des petites entreprises », pointe la CGPME. Les syndicats se sont d’ailleurs déjà emparés du sujet. Sur son site Internet, la CGT remarque ainsi que ce mode de prélèvement « fournirait à l’employeur des éléments sur la vie privée des salariés (situation de famille, niveau de revenus du conjoint…) qui (…) doivent absolument demeurer confidentiels ».

De fait, l’impôt sur le revenu étant conjugalisé, son prélèvement par l’employeur impliquera que ce dernier connaisse le montant total des revenus du foyer de chaque collaborateur. Difficile d’imaginer que les décisions d’augmentation, au moins dans certaines entreprises, n’en seront pas influencées : est-il vraiment utile d’augmenter tel collaborateur disposant de revenus complémentaires, ou dont le conjoint gagne bien sa vie ? Certains DRH ou décisionnaires se poseront forcément la question. Dans le même ordre d’idées, les chèques vacances délivrés dans certains groupes pourraient constituer un problème délicat : leur seuil de délivrance sera-t-il fonction des rémunérations avant ou après fiscalité personnelle ? Et l’ANDRH de relever le risque que pourrait faire peser, sur la qualité des relations de travail, la détention par l’employeur d’informations jusqu’alors confidentielles dans notre pays.

Retenu par nombre de nos voisins européens, le prélèvement à la source ne constitue pas une mesure neutre pour les entreprises et les DRH, loin s’en faut. La gestion de la paie s’en trouvera complexifiée, au moins provisoirement : un comble pour une mesure au départ vendue comme « simplificatrice » ! Comme le relève l’ANDRH sur son site, il faudra aux entreprises mettre en place le dispositif, assurer la collecte des données et leur protection, mais aussi accompagner le système en interne. Pour cette association, « simplifier le rôle des entreprises en tant que tiers payeurs et clarifier leur responsabilité juridique » paraît incontournable. La mesure pourrait aussi avoir des conséquences sur la gestion des rémunérations, certains pointant même un risque d’impact à la baisse sur le salaire net. Une chose est sûre, le prélèvement à la source n’a pas fini de faire débat d’ici sa mise en place.

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