Jusqu’où les évolutions sociétales vont-elles bousculer le rôle de la fonction RH ?

Interview de Caroline Diard, professeur associé
« La mission des DRH sera d’anticiper les compétences de demain, de favoriser la montée en expertise et de piloter des politiques d’attractivité capables de résister aux cycles économiques. »

Caroline Diard

Professeur associé

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Portée par des mutations technologiques, écologiques et sociétales, la fonction RH se tient en première ligne face aux bouleversements qui redessinent l’entreprise. Polycrise et permacrise fixent un nouveau tempo, poussant la direction RH à allier réactivité et vision durable. Comment peut-elle trouver l’équilibre entre performance économique, aspirations des collaborateurs et responsabilités sociales pressantes ? Caroline Diard, docteure en sciences de gestion et professeure en management des ressources humaines et droit des affaires à TBS Education, coautrice de « Les mutations du travail entre continuité et ruptures, regards croisés », décrypte les défis à venir. L’experte affirme que la fonction RH doit assumer pleinement son rôle de pilote du changement et d’architecte du futur des organisations.

Quelles évolutions sociétales redessinent aujourd’hui le périmètre de la fonction RH ?

Le périmètre de la fonction RH est aujourd’hui bouleversé par une combinaison de facteurs : crises économiques répétées, instabilité politique, inflation réglementaire, pression environnementale et accélération technologique. Des secousses qui obligent les organisations à s’adapter en permanence.

Dans ce contexte, la direction RH doit à la fois décliner la stratégie de l’entreprise et garantir l’adéquation entre compétences disponibles et besoins futurs. Un exercice d’équilibriste entre climat social à préserver, équipes à développer et cadre juridique toujours plus exigeant. Aujourd’hui, le triptyque RSE, intelligence artificielle et hybridation concentre les principaux défis d’une fonction désormais au cœur de la stratégie.

Comment la quête de sens et la recherche d’équilibre vie pro/vie perso transforment-elles les pratiques managériales et RH ?

Les attentes des collaborateurs ont nettement évolué. Ils recherchent plus de flexibilité, un management asynchrone et une organisation plus fluide de leurs temps de vie. L’équilibre entre vie pro et vie perso est devenu un critère majeur d’attractivité et de fidélisation. Cette aspiration englobe la sphère familiale, mais aussi les loisirs, l’engagement associatif ou la pratique sportive.

Deux bascules majeures ont accéléré ce mouvement : d’abord la réduction du temps de travail au début des années 2000, qui a redéfini la place des loisirs ; puis plus récemment l’essor du télétravail et de l’hybridation, qui ont libéré du temps de transport. Paradoxalement, une étude de l’Observatoire du Télétravail* révèle qu’une partie de ce temps gagné est réinvestie dans le travail, au risque d’alimenter de nouveaux phénomènes d’hyperconnectivité.

Les professionnels des RH doivent également répondre à des attentes sociétales élargies : meilleure prise en compte de la parentalité, soutien aux proches aidants, inclusion du handicap, valorisation des seniors dans un contexte d’allongement des carrières. À cela s’ajoute l’émergence d’une “génération sandwich”, partagée entre enfants encore dépendants et parents âgés à accompagner. Un enjeu inédit et sensible, qui appelle à inventer de nouvelles réponses organisationnelles.

Inclusion, diversité et équité… où en sont réellement les entreprises et que leur reste-t-il à accomplir ?

Le cadre réglementaire a incontestablement fait bouger les lignes, souvent sous la contrainte. La loi Borloo de 2005 a renforcé l’emploi des personnes en situation de handicap. La désignation d’un référent santé et sécurité au travail dès 2012 a également marqué une étape. Le CPF, lancé en 2014, a élargi les droits à la formation. L’index de l’égalité professionnelle, instauré en 2018, a apporté plus de transparence sur les écarts de rémunération. La transparence salariale deviendra obligatoire en 2026.

Ces évolutions ont permis de réels progrès, mais elles relèvent principalement d’une logique de conformité. Le défi, désormais, est d’aller plus loin et de bâtir une culture RH authentiquement tournée vers l’inclusion, l’équité et le développement durable. Une culture incarnée par les managers au quotidien.

Entre allongement des carrières et arrivée de nouvelles générations, comment la fonction RH peut-elle transformer la cohabitation intergénérationnelle en atout ?

Cette cohabitation constitue un enjeu de diversité à part entière. Elle suppose d’identifier les différentes générations et leurs motivations pour mieux organiser la coopération. Le mentorat et le tutorat restent des approches efficaces pour faciliter la transmission des savoir-faire entre seniors et nouvelles recrues.

Néanmoins, la transmission ne peut pas reposer uniquement sur des relations individuelles. Le knowledge management (gestion des connaissances) doit être structuré afin que les compétences accumulées par les seniors soient documentées, capitalisées et partagées. Préserver ce patrimoine immatériel, c’est sécuriser la mémoire collective de l’entreprise et transformer la diversité générationnelle en un atout de pérennité.

L’employabilité des seniors est un défi critique. Quelles solutions pour valoriser leurs compétences et éviter qu’ils ne soient les grands oubliés des politiques RH ?

Le taux d’emploi des seniors progresse. Selon l’Insee, 69,4 % des 50-64 ans étaient en emploi au deuxième trimestre 2025, un record depuis 1975**. Une bonne nouvelle, certes, mais qui s’explique surtout par l’allongement de la durée de cotisation et le recul de l’âge de départ à la retraite.

Les seniors sont un moteur de performance que les entreprises ne peuvent plus ignorer. Les valoriser implique de leur offrir des parcours adaptés, de reconnaître leur rôle dans la transmission des savoirs et de déconstruire les stéréotypes liés à leur coût ou à leur prétendue résistance au changement.

IA et data RH ouvrent des perspectives inédites mais aussi des dérives possibles. Comment tracer la ligne entre levier responsable et risque pour l’humain ?

L’intelligence artificielle est désormais un passage obligé. La question n’est plus de savoir s’il faut l’utiliser, mais comment. Elle transforme les processus comme les compétences, libérant les professionnels des RH de tâches chronophages pour les recentrer sur des missions à forte valeur ajoutée. L’IA soulève toutefois de sérieuses questions éthiques et juridiques, tels que la protection des données, les biais des algorithmes et la transparence des décisions automatisées.

Pour éviter les dérives, les entreprises doivent instaurer des garde-fous : chartes d’usage, comités de pilotage, formation des collaborateurs et des managers, voire de nouveaux rôles spécialisés pour garantir une gouvernance responsable de l’IA.

D’après vous, quels seront les grands défis RH en 2026 ?

La parentalité et le soutien aux proches aidants devront être pleinement intégrés aux politiques RH. L’inclusion et la diversité appelleront des engagements concrets, bien au-delà de la simple conformité réglementaire. L’hybridation et, plus largement, la flexibilité resteront des leviers clés d’attractivité et de fidélisation. Ces enjeux devront être menés de front, dans un contexte de polycrise qui réduit les marges d’improvisation et exige des professionnels des RH une posture de vigie stratégique.

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Selon vous, à quoi ressemblera la fonction de DRH dans cinq ans ?

Ce sera une fonction augmentée, soutenue par l’IA et les nouveaux usages digitaux. Les DRH auront automatisé une large part des tâches administratives afin de se concentrer sur l’analyse, la stratégie et l’accompagnement humain. Ils devront aussi composer avec une crise démographique inédite : moins de jeunes actifs, davantage de seniors en emploi et l’obligation de gérer durablement l’intergénérationnel. Leur mission sera d’anticiper les compétences de demain, de favoriser la montée en expertise et de piloter des politiques d’attractivité capables de résister aux cycles économiques.

Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil à un DRH pour rester en phase avec ces évolutions, lequel serait-il ?

Adopter une posture d’écoute, rester attentif à toutes les parties prenantes et savoir capter les signaux faibles. Cela implique une veille permanente et la capacité de se positionner en expert sur certains processus stratégiques. Le DRH de demain devra conjuguer ouverture et spécialisation, ouvert sur son environnement et fort d’une expertise technique solide lui permettant de peser dans les choix de l’entreprise.

 

*Une à deux fois par an, l’Observatoire du Télétravail réalise des enquêtes auprès des salariés en télétravail. Leur contenu ainsi que leur traitement statistique sont pilotés par le Comité scientifique.

**Le taux d’emploi des seniors a atteint un record historique à 69,4% au deuxième trimestre 2025

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