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Mettre en place la semaine de 4 jours nécessite des discussions approfondies avec toutes les parties prenantes et exige une organisation adaptée ainsi qu’un investissement en temps. L'un des principaux défis, comme pour toute innovation, est d'apprendre à naviguer dans l'inconnu.

Depuis quelques années, la semaine de travail de 4 jours suscite un intérêt croissant dans diverses organisations, tant dans le secteur public que privé. Cette approche innovante, qui réduit la semaine de travail sans diminuer la productivité, a déjà été adoptée par plusieurs entreprises audacieuses, marquant un tournant dans la dynamique employeur-employé. Il existe deux grandes variantes : l’une sur une semaine réduite à 32 heures et l’autre sur une semaine de 35 heures. Toutefois, cette évolution ne fait pas l'unanimité : certains dirigeants restent sceptiques ou réticents à l'idée. Pour explorer plus en profondeur cette tendance, nous avons organisé une interview croisée avec deux experts en la matière : Johan Theuret, co-fondateur du think tank influent “Le Sens du Service Public” et Cyril Monharoul, dirigeant de Ferchaud Ingénierie, qui a récemment mis en œuvre la semaine de 4 jours dans son entreprise. Décryptage des avantages, des défis et de l’avenir de cette évolution du temps de travail

 

Pourquoi, selon vous, la question de la semaine de 4 jours suscite-t-elle autant d’intérêt et de débats actuellement ?

Johan Theuret : Dans le prolongement d’expérimentations dans plusieurs pays européens (Islande, Belgique, Angleterre), de récentes enquêtes d’opinion soulignent un engouement notable pour la semaine de 4 jours : 60% des Français y sont favorables, et cette tendance se confirme au sein de la fonction publique, où 74% des agents publics appuient cette idée, d’après une étude réalisée par notre collectif “Le Sens du service public”. Ce modèle suscite un vif intérêt car il permet, entre autres, de conjuguer un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. La semaine de 4 jours est souvent une solution permettant de réduire le stress et d’augmenter le temps consacré aux activités personnelles et familiales. Cette évolution permet également à l’organisation d’attirer et de fidéliser les talents plus aisément. Il s’agit d’un avantage compétitif prisé des candidats en quête de flexibilité dans le sens de se redonner du temps pour soi.

Cyril Monharoul : La pandémie a été un révélateur pour nous, en tant qu’employeurs, en nous obligeant à repenser notre mode de fonctionnement. Durant cette période, l’accent ne portait plus sur le développement des entreprises, mais sur la capacité à s’adapter et à répondre aux besoins de chacun. Nous avons observé, entre autres, un changement dans la relation au travail de la génération Z, où le bien-être au travail est devenu un critère déterminant dans la recherche d’emploi.

Dans ce contexte, notre priorité s’est axée sur la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) de nos collaborateurs, convaincus que le succès d’une entreprise repose sur leur satisfaction. Nous avons donc envisagé des initiatives innovantes telles que la semaine de 4 jours.

Face aux interrogations sur le financement d’une telle mesure, ma réponse a été claire : il ne s’agit pas tant de financer que d’investir dans nos salariés qui représentent notre capital le plus précieux. C’est en les recrutant et en les fidélisant que nous construisons la pérennité de notre entreprise.

 

Dans quelle mesure voyez-vous la semaine de 4 jours comme un reflet de l’émergence d’un nouveau contrat social ?

Johan Theuret : La semaine de 4 jours, à mon avis, répond à une aspiration croissante à l’individualisation et à la flexibilité du travail. Elle peut être perçue comme le reflet de l’émergence d’un nouveau contrat social car elle offre une liberté accrue dans la gestion de l’emploi du temps. Cette liberté offerte s’inscrit pour certains métiers dans la tendance du “work from anywhere” qui consiste à pouvoir travailler de n’importe où. Toutefois, cette flexibilité a son revers : elle peut diminuer les interactions et les moments de cohésion collective au sein des structures quand les jours off sont tournants.

La clé réside, selon moi, dans l’organisation de ces 4 jours de travail. D’ailleurs, il me semble important de rappeler qu’il existe deux grands modèles : une version basée sur une semaine de 32 heures, et l’autre sur une semaine de 35 heures. Dans la première, le nombre total d’heures travaillées par semaine est diminué, alors que dans la seconde, cela implique des journées de travail plus longues. Malgré leurs différences structurelles, ces deux approches ont un aspect en commun : le maintien du même niveau de salaire pour les collaborateurs.

Cyril Monharoul : Selon moi, ce nouveau contrat social consiste à investir dans le bien-être des salariés. En offrant trois jours de repos par semaine, nos collaborateurs reviennent plus reposés et dynamiques le lundi. Actuellement, nous réfléchissons à la meilleure façon d’optimiser sa mise en place, de manière à répondre efficacement à nos exigences actuelles. Bien que cette transition puisse sembler prématurée pour certaines organisations, je suis convaincu de sa pertinence future. Il est vrai que sa mise en place intensifie les journées de travail mais, en contrepartie, elle offre un meilleur équilibre global grâce à un jour de repos supplémentaire, placé en prolongation du week-end.

 

Est-il possible de faire mieux avec moins de temps ?

Johan Theuret : L’efficacité de la semaine de 4 jours varie grandement en fonction du secteur d’activité. Par exemple, dans l’éducation ou la petite enfance, augmenter la durée quotidienne de travail pour compenser un jour de moins n’est pas toujours approprié, car cela ne répond pas nécessairement aux besoins des enfants et peut surcharger le personnel.

 

Quels sont les principaux défis rencontrés lors de l’adoption de la semaine de 4 jours ?

Cyril Monharoul : L’un des principaux défis est de naviguer dans l’inconnu qu’implique toute innovation. Cela nécessite des discussions approfondies avec toutes les parties prenantes, y compris avec les clients et fournisseurs, et exige une organisation adaptée ainsi qu’un investissement en temps. Je suis fermement convaincu des bénéfices de ce modèle, tant pour les salariés que pour l’entreprise. Toutefois, ce modèle n’est pas accepté par tous. Par exemple, nous avons récemment rencontré un obstacle lors d’un processus de recrutement : un candidat a jugé nos horaires trop contraignants pour sa situation personnelle. Il s’agit donc de personnaliser notre approche et d’adapter notre organisation pour répondre aux besoins individuels de nos salariés, tout en maintenant l’efficacité opérationnelle.

Johan Theuret : L’introduction de la semaine de 4 jours présente effectivement des défis, en particulier concernant la cohésion et l’harmonie des équipes. La modification des schémas habituels d’interaction, surtout en face-à-face, nécessite une réévaluation de l’organisation du travail. Cela pourrait impliquer la création de nouveaux postes, ce qui s’écarte des tendances actuelles, mais reste essentiel pour préserver l’efficacité organisationnelle. 

Un autre défi majeur consiste à repenser nos processus de réunion et de prise de décision. Il s’agit de favoriser davantage d’interactions directes pour pallier les effets potentiels du télétravail et des jours de repos rotatifs sur la dynamique d’équipe. En adaptant nos méthodes de travail, nous pouvons atténuer les conséquences de ces changements et maintenir une forte cohésion d’équipe.

 

Est-ce que la semaine de 4 jours est applicable à tous les métiers et secteurs (public, privé) ?

Johan Theuret : La faisabilité de la semaine de 4 jours varie selon les secteurs et les métiers. D’après les expériences actuelles et les normes en vigueur, son application universelle me semble peu probable. Dans certains domaines, comme ceux nécessitant un contact constant avec les clients ou les usagers, l’extension du temps de travail quotidien n’est pas forcément adaptée.

De plus, pour les métiers physiquement exigeants, une journée de travail de 9 heures par jour pose question. Cette amplitude horaire pourrait non seulement augmenter la fatigue physique, mais aussi accélérer l’usure des travailleurs, et pour certaines personnes être incompatible avec leurs obligations familiales. Ainsi, sans la création de nouveaux postes pour compenser, la généralisation de ce modèle est compliquée.

 

Quel impact pour le management ?

Cyril Monharoul : Dans notre organisation, je suis l’un des seuls à travailler le vendredi, ce qui me donne l’opportunité de me consacrer pleinement à des tâches spécifiques, notamment dans le domaine RH. C’est un avantage certain. Cette configuration unique est également un argument supplémentaire lors de nos recrutements car cela valorise notre entreprise. Toutefois, la gestion au quotidien nécessite de se montrer vigilant. Les journées de travail étant plus longues, une période d’adaptation et un suivi régulier sont indispensables. Malgré ces défis, l’expérience s’avère très positive.

 

La semaine des 4 jours remet-elle en question la pratique du télétravail ? Si oui, comment ?

Johan Theuret : La mise en place d’une semaine de quatre jours soulève des questions sur l’équité entre les collaborateurs pouvant télétravailler et ceux qui ne le peuvent pas. Dans le secteur public et dans certains métiers du secteur privé, où le télétravail n’est pas réalisable, l’application d’une semaine de quatre jours est plus complexe en raison de la nécessité de maintenir une continuité des services. Cette différence pourrait créer une disparité au sein des équipes, avec certains employés bénéficiant d’une flexibilité accrue et d’autres non.

Cyril Monharoul : En ce qui concerne le télétravail, notre approche est flexible et s’adapte aux exigences de chaque projet. Nous nous efforçons de maintenir une journée de télétravail hebdomadaire. Bien que cette disposition soit révisée semestriellement, elle vise avant tout à garantir que nos collaborateurs atteignent leurs objectifs dans les meilleures conditions.

 

Selon vous, quelles sont les évolutions à venir pour les entreprises et la société en ce qui concerne la refonte du contrat social ?

Johan Theuret : L’implémentation de la semaine de 4 jours présente des défis particuliers dans certains secteurs, notamment dans le secteur public.

Le cœur du problème dans le secteur public réside dans l’obligation de ne pas compromettre la qualité des services offerts aux usagers. Comme la majorité des services publics fonctionne sur un rythme de cinq jours ou plus, l’introduction d’un jour de congé fixe, qui peut être envisageable dans le secteur privé, se heurte à des obstacles organisationnels et des questions d’équité dans le public.

Toutefois, cela ne signifie pas que nous devons éviter d’expérimenter ou de tester de nouvelles approches. Au contraire, il est primordial de mener ces expérimentations en étroite collaboration avec les agents du secteur public. Une concertation approfondie est indispensable pour évaluer l’impact et l’efficacité de ces changements.

 

Quels conseils donneriez-vous à des entreprises qui souhaitent passer à la semaine de 4 jours ?

Cyril Monharoul : L’anticipation des bénéfices de la semaine de 4 jours peut être complexe. Pour débuter, je préconise aux entreprises d’adopter une approche expérimentale, comme nous l’avons fait chez nous. Plutôt que de simples tests, nous avons visé une mise en œuvre durable dès le départ. Je recommande d’essayer ce modèle pour une période limitée initialement, tout en établissant des accords clairs avec les salariés, sans engagement à long terme.

Je pense que nous devons prendre en compte l’unicité de chaque entreprise et le contexte. Par exemple, nous avons opté pour le vendredi comme jour de congé, mais pour d’autres, le mercredi ou le lundi pourrait être plus approprié. Je suggère une période d’essai de quatre à six mois, suivie d’ajustements selon les retours et les besoins identifiés.

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