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Nourris par cette volonté de donner plus de poids à leurs collaborateurs, un nombre encore restreint mais croissant de dirigeants expérimentent des modèles proches de l’holacratie. Sur de nombreux points, ce système présente des points positifs et inspirants.

Au carrefour de l’entreprise « pyramidale » classique et des structures « horizontales », des entités privées et publiques empruntent peu à peu le chemin de « l’organisation mixte ». Un juste milieu entre le « command and control » et l’absence de hiérarchie, qui nécessite de sortir des théories préconçues.

Le monde du travail poursuit sa mutation. Depuis déjà 10 ans, se développe le mouvement des entreprises libérées et de l’holacratie. Des organisations où le système hiérarchique classique est remplacé par une structure relativement plate, et où les collaborateurs sont invités à s’auto-diriger et à prendre des décisions. La crise du Covid pourrait bien donner un second souffle à ces structures encore peu nombreuses. Pendant deux ans, face au développement du télétravail, nombre d’entreprises ont ainsi été poussées à mettre en place un management différent, basé sur la responsabilisation et la confiance, loin du « command and control » traditionnel. Dans le même temps, les attentes des collaborateurs vis-à-vis de leurs managers ont changé, tout comme leurs besoins d’autonomie et de souplesse.

Dans ce contexte, de plus en plus d’entités privées et publiques s’interrogent sur les notions de collectif, de culture, de raison d’être, de liens à l’entreprise et de relation aux groupes. L’enjeu pour les dirigeants est de permettre à leur organisation de rester performante, tout en mettant en place un système qui correspondrait davantage aux envies nouvelles des collaborateurs et de la société dans son ensemble.  

Les organisations publiques et privées cherchent à suivre un mouvement à travers lequel elles suivent un projet collectif et partagé, et sont de moins en moins associées à un lieu de travail précis. Avec l’objectif de fidéliser les collaborateurs autour d’une culture commune, elles souhaitent désormais accorder plus d’autonomie à ces derniers, et les rendre acteurs de leurs missions. Dans le même temps, elles cherchent à devenir plus agiles et flexibles, notamment pour réaliser plus de projets plus rapidement. Ainsi, pour allier bien-être au travail et productivité, des dirigeants sont tentés de gagner en transversalité, en décloisonnant davantage leurs organisations. Ils souhaitent aussi inverser la pyramide managériale en adoptant le principe de subsidiarité, selon lequel une décision devrait être prise par la personne la plus compétente, quel que soit son rang hiérarchique.

 

Égalité, souplesse, horizontalité : les avantages de l’holacratie

Nourris par cette volonté de donner plus de poids à leurs collaborateurs, un nombre encore restreint mais croissant de dirigeants expérimentent des modèles proches de l’holacratie. Sur de nombreux points, ce système présente des points positifs et inspirants. D’un point de vue organisationnel d’abord, il repose souvent sur la mise en place de « cercles métiers ». Il s’agit d’espaces de dialogue, de partage et de co-construction ; sans fonctionnement hiérarchique, mais avec une organisation démocratique. Ainsi, chacun est sur un même niveau d’égalité, et n’importe quel collaborateur peut intégrer un cercle ou en sortir, en fonction de ses besoins. Plus agile qu’une réunion d’équipe opérationnelle, un cercle offre à chacun l’opportunité de s’exprimer, notamment sur des sujets stratégiques. Ce nouveau type d’organisation, moins figé dans le temps qu’une équipe, est par exemple l’occasion de revoir régulièrement, d’une façon plus souple et démocratique, la répartition de la charge de travail et les missions ; en fonction des évolutions stratégiques des entités (missions et métiers qui viennent à disparaître, nouveaux défis à relever…).

Dans leur mode de fonctionnement, les organisations holacratiques sont aussi intéressantes de par leur logique d’horizontalité. Le management hiérarchique s’efface : place au travail en « mode projet » et à l’intelligence collective ; avec l’idée que la mobilisation des connaissances et des compétences de l’ensemble des collaborateurs est la clé pour parvenir à des résultats plus ambitieux et à une plus grande performance. En outre, les « cercles » sont autant d’espaces d’échanges et de dialogues ouverts à tous, qui permettent le partage des problématiques rencontrées, et la recherche de solutions de façon collégiale. L’information circule d’une façon plus transparente et transverse. Les collaborateurs se sentent davantage parties prenantes des décisions prises, ce qui accroît aussi leur engagement.

Enfin, côté RH, les organisations qui expérimentent l’holacratie valorisent les capacités d’autonomie de leurs collaborateurs. Plutôt que de ne se focaliser que sur leurs hard skills d’origine, elles mettent notamment en avant les compétences que ces derniers ont acquis ou exprimé en participant de façon collaborative à de multiples projets transverses. En outre, ces organisations reposent bien souvent sur des valeurs partagées telles que l’écoute, l’entraide et la solidarité ; ce qui concourt à développer un réel esprit d’équipe.

Mais si l’organisation classique, descendante et pyramidale, ne semble plus être adaptée à un monde qui réclame toujours plus d’agilité, force est de constater que l’holacratie, ce système qui élimine la notion traditionnelle de hiérarchie et confère plus d’autonomie aux salariés, n’est pas non plus exempt de défauts.

 

Un système holacratique qui peut vite s’enrayer

Sur le terrain, auprès des entreprises privées et des organisations publiques qui adoptent l’holacratie, le constat est souvent net et sans détour : leur mode de gouvernance peut rapidement avoir un effet bloquant sur la prise de décisions. En effet, ce système, qui repose sur le consensus, a tendance à diluer la prise de responsabilité : Personne ne se sent suffisamment légitime à décider ou à arbitrer, de peur des retombées trop négatives qui pèseraient sur l’ensemble du groupe. En outre, cette organisation « dé-hiérarchisée » ne convient pas à tous les collaborateurs : certains ne souhaitent pas travailler en permanence en totale autonomie, et ont besoin d’un minimum de management de proximité. 

Le mode de fonctionnement des organisations holacratiques au quotidien comporte aussi certaines limites. Concernant la gestion de l’information, les espaces de dialogues nombreux et ouverts, ainsi que l’abandon d’une structure hiérarchique, peuvent engendrer un flux permanent d’information à un niveau de détail trop fin, non transmis à la bonne granularité et une surcharge chronophage. En conséquence, pour ceux qui participent aux réunions, un retard dans l’accomplissement de leurs tâches quotidiennes. Et pour le décideur, une information transmise pas toujours utile ou utilisable pour l’éclairer.

Concernant les ressources humaines, plusieurs retours d’expérience permettent d’établir que les modalités de collaboration et de coopération des organisations holacratiques peuvent parfois donner l’impression aux collaborateurs d’être dilués par le « nous » et par la lourdeur du collectif. Certains éprouvent ainsi le sentiment qu’il est nécessaire, lors de l’expression d’idées, d’être « majoritaire » pour emporter l’adhésion, et donc de trouver « à tout prix » un consensus. À noter la sensation d’isolement exprimée par d’autres collaborateurs, qui indiquent avoir des difficultés à « trouver leur place » dans ce type de modèle.

 

L’organisation mixte, un juste milieu entre horizontalité et hiérarchie

Face à ce constat, les organisations (publiques ou privées) souhaitant devenir réellement agiles gagneraient à trouver un juste milieu, entre horizontalité et système pyramidal. D’où l’émergence progressive d’une nouvelle tendance, expérimentée depuis peu par plusieurs dirigeants : celle des structures organisationnelles mixtes.  

Il n’existe pas de formule magique, mais l’idée consiste à rechercher un équilibre entre hiérarchie et souplesse. Pour lutter contre la dilution des responsabilités et des expertises, il semble nécessaire d’adopter une architecture organisationnelle reposant sur un minimum de règles, avec des processus et des pratiques clarifiées. Et si l’idée n’est pas de retourner vers un modèle traditionnel basé sur la hiérarchie, les organisations à modèle classique, qu’elles soient privées ou publiques, gagneraient à inventer de nouveaux espaces de partage et de co-construction tels que les « cercles ». Tandis que les structures holacratiques auraient tout intérêt à réinjecter une part de management intermédiaire dans leur fonctionnement. 

Parce qu’il s’agit d’un besoin exprimé par certains collaborateurs, il semble ainsi primordial de maintenir des personnes (avec un degré hiérarchique supérieur aux personnes accompagnées) en charge de prendre des décisions. L’idée n’étant pas de revenir à un management hiérarchique, mais de disposer de « référents », légitimes pour prioriser, arbitrer et pondérer. 

En parallèle, si les managers ont souvent plusieurs casquettes (coachs, experts métiers…), pourquoi ne pas profiter de cette transformation pour accentuer l’un ou l’autre de ces rôles ? Certaines organisations ont ainsi opté pour un système « matriciel » ; avec des managers de proximité qui sont davantage chargés d’accompagner et de faire grandir leurs équipes, et des « experts techniques opérationnels », qui sont surtout responsables du pilotage de l’activité et garants de l’efficacité des missions prioritaires pour l’entité. 

Mais quel que soit le modèle choisi, la posture du manager restera la même que dans une organisation holacratique : plus question pour lui de prendre des décisions seul, sans faire confiance à ses équipes, dans une optique de « command and control ». Pour les DRH, tout l’enjeu sera d’accompagner suffisamment ce dernier face à ce changement de paradigme, tout en adaptant le ratio d’encadrement en fonction des profils des collaborateurs.

 

Un modèle mixte qui nécessite d’avancer en marchant

Le passage à une structure organisationnelle mixte nécessite de sortir des théories préconçues, afin de pouvoir créer son propre modèle. Au travers d’une approche systémique de leur organisation (stratégie, opérationnel, gouvernance, gestion des équipes…), dirigeants et DRH auront à cœur de repenser les différentes dimensions du management, les coopérations entre collaborateurs, le partage des tâches, ou encore les formats des réunions… avec des enjeux de performance et de santé au travail, mais aussi de cohésion interne et d’équité. Mais surtout, ils ne devront jamais oublier que l’organisation mixte est un projet RH global pour l’organisation, qui suppose une vraie concertation en amont, un effort de communication tout au long de sa conception et de sa mise en œuvre, et une évaluation de la transformation dans ses impacts RH.

Le passage d’un fonctionnement pyramidal classique à un modèle plus « libéré » et « horizontal » ne peut se faire que par étapes. Pour les dirigeants et les DRH, cela se traduira finalement par la nécessité d’avancer de façon progressive, voire empirique. En restant prudents et attentifs aux besoins des collaborateurs comme de l’organisation globale. Mais surtout, en expérimentant, en testant, et en ajustant.

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