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Un manager peut demander à l’IA de lui faire une synthèse détaillée de la personnalité et du profil émotionnel d’un candidat. En France, nous n’avons pas encore cette possibilité avec le respect des mesures RGPD. En revanche, aux Etats-Unis et en Chine, cette pratique d’analyse du profil s’est déjà généralisée.

Difficile, aujourd'hui, d'imaginer un monde professionnel sans IA, tant son essor bouleverse la vie de l’entreprise et de ses acteurs. Le manager n’échappe pas à ces transformations . Comment peut-il s’emparer des technologies de l’IA pour continuer de rester compétitif et répondre aux défis qui sillonnent son quotidien ? Qu’il s’agisse d’aider les managers à recruter ou de leur proposer des parcours de formation adaptés, le recours à l’IA semble incontournable. Cécile Dejoux, professeure des universités au Cnam et affiliée à l’ESCP BS, conférencière, auteure, directrice du Learning Lab Humain Change, décrit les tendances de l’IA appliquée au management, son niveau de maturité et les prochaines étapes à venir.

 

Comment définissez-vous l’intelligence artificielle ?

Au préalable, il faut se rappeler qu’il n’existe pas une mais plusieurs définitions pour décrire l’IA. Elle peut être entendue de façon informatique en fonction des technologies qui la constituent. Il est également possible de la définir par son aspect éthique. Dans ce cas, la définition peut changer d’un pays à un autre, selon les réglementations d’utilisation des données mises en œuvre (en Europe, aux Etats-Unis, en Chine et au Canada, par exemple). Enfin, l’IA peut être décrite par rapport à sa contribution à la société, avec des débats plus idéologiques. Pour ma part, j’aime la définir selon une démarche holistique, consistant à envisager ses possibilités technologiques en matière :

  • de vision, appelée aussi “computer vision” et liée à la reconnaissance des objets ;
  • de parole (ou de son) qui correspond principalement à la traduction automatique en temps réel ;
  • de gestion de la connaissance via des systèmes de classement, d’identification, de mise en relation et de messages d’alerte ;
  • d’utilisation des robots : qu’ils soient virtuels avec les RPA (robot processing automation ou “automatisation robotisée des processus” en français), physiques avec des robots qui peuvent être des “cobots” (robots ne possédant que des bras) ou émotionnels lorsque ce sont des humanoïdes.

 

Comment envisagez-vous la place de l’IA dans le monde du management ?

Il n’y a pas une IA mais des IA. ChatGPT fait, par exemple, partie des technologies génératives, un type d’IA qui existe déjà depuis longtemps. On peut s’attendre à d’autres phénomènes de cette ampleur dans le futur. 

Aujourd’hui, l’IA aide le manager à travers différentes fonctions. Premièrement, elle redéfinit les tâches managériales. Dans le livre « Ce sera l’IA et moi »*, j’explique qu’il existe des tâches pouvant être totalement réalisées par l’IA. Dans ce cas de figure, l’IA s’avère très utile car beaucoup plus rapide que l’humain, avec moins de risques d’erreur. Elle offre un gain de temps précieux. Ces tâches managériales automatisées par l’IA peuvent concerner, entre autres, le classement de fichiers, la création de sites web, les réponses via la recherche de base de données, la mise en place de systèmes d’alerte et les prédictions des ventes.

Deuxième fonction, elle assiste le manager. Elle lui vient en aide, sans pour autant remplacer sa capacité à prendre la décision finale. L’IA a une véritable valeur ajoutée pour les missions nécessitant de la gestion de projet, mais aussi de la créativité. Elle aide également au recrutement et à la définition de parcours de formation adaptés aux collaborateurs.

Troisièmement, l’IA permet de réaliser des tâches que l’humain ne peut pas réaliser seul. En management, beaucoup de tâches peuvent être intégralement remplacées par l’IA. D’autres peuvent être assistées. En revanche, pour le moment, très peu d’entre elles apportent une véritable augmentation du manager sur des tâches qu’il ne pourrait pas réaliser sans IA. Par ailleurs, ce dernier doit avoir une vraie culture liée à la data et à l’IA.

 

Comment le manager doit-il se positionner face au développement de l’IA dans le management ?

Le manager ne doit pas être crédule quand il travaille avec des informaticiens qui développent un projet d’IA. Il doit souvent officier en tant que chef d’orchestre du projet, tant en amont qu’en aval. Il sera, par exemple, chargé de dessiner la feuille de route du projet, de vérifier sa production, puis d’en évaluer la qualité. Il n’a donc pas d’autre choix que de posséder de solides bases en IA pour rester compétent et crédible dans ce domaine.

Aujourd’hui, l’IA connaît de fortes évolutions. Plusieurs systèmes permettent au manager d’utiliser l’IA sans consommer de grosses données. Auparavant, il était indispensable de se former au code. Désormais, il existe du “no code” et du “low code”. Sans être un expert technique, le manager doit pouvoir comprendre ces domaines pour trouver les bons arguments ou aller plus loin dans une proposition commerciale

Enfin, le manager doit être préconisateur de solutions d’IA pour prendre les devants et ne pas subir sa mise en place. A lui d’être force de proposition et de mettre en place un système de curation efficace pour suivre les tendances et les innovations de l’IA dans les différents métiers et produits. Il pourra discerner plus facilement quels sont les bons outils, les bons sites et les prestataires à impliquer.

 

Comment les managers peuvent-ils utiliser l’IA à leur avantage ?

L’IA offre de nouvelles possibilités d’amélioration en matière d’images, de voix, de gestion des connaissances et d’utilisation de robots. La voix correspond à la traduction automatique en temps réel. Celle-ci permet de générer une conversation et d’obtenir, par exemple, un compte rendu en 5 éléments. Si l’on se projette en 2035, nous n’aurons plus besoin de téléphone, nous aurons peut-être des puces, voire des implants, ou des lunettes connectées. Il suffira de parler pour communiquer avec l’IA et obtenir la bonne information.

 Si l’on prend l’image, on constate que cela révolutionne le monde du télétravail, avec la possibilité de créer son avatar, de communiquer via le metaverse dans un monde connecté plus immersif. Il sera possible de transférer ses idées à son avatar pour que celui-ci interagisse à notre place. 

Avec l’IA, on accède à un niveau de connaissance qu’il n’était pas possible d’atteindre sans elle. 

Par exemple, un manager peut demander à l’IA de lui faire une synthèse détaillée de la personnalité et du profil émotionnel d’un candidat. En France, nous n’avons pas encore cette possibilité avec le respect des mesures RGPD. En revanche, aux Etats-Unis et en Chine, cette pratique d’analyse du profil s’est déjà généralisée. L’IA va alors transmettre une fiche synthétique de la personne en scannant, en quelques secondes, tous ses écrits sur les réseaux sociaux. Le manager pourra, par exemple, savoir si le futur recruté est de nature impulsive, plutôt dominante ou très empathique.

L’IA permet aussi de bénéficier de systèmes d’alerte. Le manager saura dès lors dans quelle équipe le risque de conflit est le plus probable ou quelle est celle où le risque de burnout est le plus élevé. Auquel cas, il devra prendre des mesures pour gérer ce cas de figure car c’est de sa responsabilité légale.

Un quatrième aspect concerne l’usage des robots. Il en existe de plusieurs types. Il y a ceux qui n’ont aucune matérialité que l’on appelle les RPA. Ces derniers peuvent permettre d’associer une facture à un client, afin de connaître le nombre de produits achetés. Le manager peut accéder à différents types d’informations précieuses comme le chiffre d’affaires réalisé par un commercial ou le nombre de formations réalisées par un collaborateur.

 Il existe un autre type de robots que l’on peut qualifier de “physiques”, pouvant assister le manager dans ses tâches. Par exemple :  réaliser des recherches de façon automatisée.

 

L’IA peut-elle aider à gérer le changement pour les managers ?

L’IA peut aider le manager à faire face aux incertitudes et aux changements à venir, mais elle ne le remplacera jamais totalement dans son pouvoir de décision. Le piège à éviter est de donner à l’IA plus de pouvoir qu’elle n’en a. Il faut que le manager sache faire preuve d’esprit critique, de façon à toujours remettre en question ce qui est donné par l’IA et à ne rien prendre pour acquis. 

Une deuxième compétence à développer est de prendre conscience de l’importance du “care management”, ou comment rétablir un équilibre pour comprendre et assumer nos limites en tant qu’humain. Il est nécessaire que le manager développe des compétences de centrage, de manière à augmenter son attention, à reprendre le pouvoir sur son agenda, etc. Il est essentiel de créer une “armure anti-numérique”, de façon à préserver notre équilibre face à cette sur-connexion permanente. Il ne faut pas que managers et collaborateurs négligent ces mesures pour préserver leur santé physique et mentale. 

Une troisième caractéristique à développer pour le manager, selon moi, est de savoir rester à la pointe de ce qui existe, car l’IA évolue à une vitesse que l’on ne pourra jamais atteindre. Si l’on ne peut pas être à la pointe dans tous les domaines, il est tout de même possible de cultiver un écosystème pour échanger avec la bonne personne qui vous donnera la bonne information, en temps réel.

 

Quels sont les prérequis et le degré de « maturité managériale » nécessaires pour intégrer l’IA dans sa pratique managériale ?

C’est d’abord une question de “mindset”, d’état d’esprit. Pour intégrer l’IA dans sa pratique managériale, il faut avoir la volonté de comprendre le monde pour rester libre. Si le manager reste dans la peur, un jour ou l’autre, il n’aura d’autre choix que de suivre le mouvement. On n’est pas pour ou contre l’IA. L’enjeu est plutôt de comprendre l’intérêt de l’IA par rapport à notre métier. Ainsi, le manager a pour mission de se former et d’acculturer ses collaborateurs. L’apprentissage est donc essentiel pour rester libre. Pour cela, le manager peut se tourner vers diverses ressources telles que les moocs, les podcasts, les livres et les communautés afin de discuter, partager leurs idées et se questionner. Autrement, le risque est de devenir des exécutants de fiches de poste.

 

Quels sont les principaux freins à l’utilisation de l’IA dans le champ managérial (et les réponses à apporter à ces résistances) ?

Je vois un premier frein lorsque la direction de l’entreprise n’a pas mis à l’ordre du jour le sujet de l’IA avec les partenaires sociaux. C’est important que ces derniers fassent partie du mouvement.

Un deuxième frein concerne l’absence de réflexion sur l’éthique. Une entreprise doit avoir une charte dans ce domaine et adhérer à des certifications ou à des labels par rapport à l’IA.

Un troisième frein concerne la consommation énergétique des solutions d’IA. L’entreprise doit avoir une vraie décision stratégique en ce domaine. Comment innover et protéger la planète ? tel est l’enjeu de notre siècle.

Pour en savoir plus sur l’IA appliquée au management, retrouvez les contenus publiés par Cécile Dejoux sur le sujet avec : 

Le MOOC l’IA pour tous : https://www.fun-mooc.fr/fr/cours/lintelligence-artificielle-pour-tous/

Le livre “Ce sera l’IA et moi” : https://livre.fnac.com/a14089373/Cecile-Dejoux-Ce-sera-l-IA-ou-et-moi

La playlist sur la chaîne YouTube : “l’IA et moi” https://www.youtube.com/watch?v=d95aTcpNCS8&list=PLjUpJICqBjuzloFzUMk_gnp6hrg5hIk8N

Le site internet : http://ceciledejoux.com

* Cécile Dejoux, Ce sera l’IA et/ou moi. Comprendre l’intelligence artificielle pour ne plus en avoir peur, Vuibert, coll. Hors Collection, 2020

 

 

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