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Le droit à la déconnexion-convictionsrh

Phénomène en hausse, l’hyper connexion alerte de plus en plus les spécialistes des troubles psychosociaux. Si le fait de devoir répliquer instantanément à un flux continu de requêtes peut poser problème en entreprise, l’usage immodéré des outils connectés soulève de sérieuses questions quand ce flux se poursuit en dehors des heures de bureau. Signe d’une perméabilité inédite entre les mondes professionnel et privé, l’hyper connexion est désormais pointée par les experts comme un facteur décisif dans l’augmentation des cas de burn-out. Qu’en est il au juste ? Quels risques l’hyper connexion fait-elle peser concrètement sur l’entreprise, et comment les contrer ?

 

De l’engagement au sur-engagement

Les technologies connectées prennent chaque jour une place plus importante dans notre quotidien, que ce soit dans l’univers professionnel ou privé. Smartphones, ordinateurs portables et tablettes permettent d’être connecté en permanence…  et donc d’être joint par son chef, directeur ou patron n’importe où et n’importe quand. La performance du salarié, et donc de l’entreprise, semble a priori en bénéficier : terminer un dossier urgent le soir grâce à son ordinateur portable, préparer une réunion dans les transports grâce à une tablette, prendre connaissance d’une urgence le soir et la traiter sans attendre le lendemain grâce à un smartphone sont devenus chose courante. Pourtant ces outils, s’ils sont un bon moyen pour le collaborateur de témoigner de son engagement professionnel, transforment les organisations de façon insidieuse en remplaçant l’engagement par du sur-engagement systématique : ils ouvrent la porte à l’épuisement physique, psychologique et au burn-out.

« Les outils connectés provoquent une tension permanente. Aujourd’hui, selon les études Technologia, entre 50 et 60% des cadres travaillent encore chez eux en rentrant du travail, soit deux fois plus qu’en 2003 » affirme en octobre 2014 Jean-Claude Delgènes, directeur général du cabinet Technologia spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux. Pour ce spécialiste, c’est aussi parce qu’elle brouille les repères entre sphères privée et professionnelle que l’hyper connexion favorise le burn-out : « Cette nouvelle articulation des différentes dimensions de la vie provoque chez certains de grandes difficultés. Leurs rythmes sont bousculés et ils n’arrivent plus à récupérer suffisamment ».

 

Nouveau rapport au travail, nouveaux risques psychosociaux

Psychanalyste et responsable du réseau de consultations Souffrance et Travail, Marie Pezé pointe de son côté le changement du rapport au travail induit par ces nouvelles technologies : « [Elles] plongent le salarié dans un fonctionnement de l’immédiateté (…) Il faut répondre tout de suite, lancer les tâches très rapidement ». Résultat, elles les font travailler « comme des athlètes de la quantité car en allant plus vite, ils produisent plus. Cette intensité a un impact direct sur la physiologie du corps et le fonctionnement cognitif ». 

Le phénomène est particulièrement sensible chez les cadres, submergés par les emails. Le stress généré par ce flux perpétuel, le temps perdu à prendre connaissance des informations et demandes et le traitement des tâches « au fil de l’eau » qui en découle créent une impression de travail bâclé, sans fin, qui nuit au sentiment de fierté du travail bien accompli. « Ils se désolent de devoir exécuter leur travail comme des robots », déplore Marie Pezé ; « surtout, ils n’ont plus jamais l’impression d’être à jour. Comme le temps nécessaire à la réflexion n’existe plus, le travail effectué n’est plus réfléchi et mesuré, les salariés savent qu’ils l’ont fait dans l’urgence et n’en sont pas fiers ». Les collaborateurs se trouvent ainsi dans un état d’esprit qui nuit à la prise de recul nécessaire et diminue leur capacité d’initiative : la productivité prend le pas sur la qualité du travail effectué et peut également nuire à une bonne perception de la marque employeur.

 

L’émergence d’un droit à la déconnexion

S’il est évident pour les spécialistes que les collaborateurs doivent se déconnecter le soir et le week-end pour préserver leur santé, l’alourdissement de la charge de travail engendré par les nouvelles technologies rend la chose difficile. Car les emails qui s’accumulent correspondent à autant de requêtes qu’il faut satisfaire toujours plus vite, sous peine d’être encore plus débordé le lendemain. L’entreprise étant dans une logique de productivité, c’est, pour l’heure encore, aux collaborateurs de savoir poser des barrières. Les DRH doivent avoir à l’esprit que certaines dispositions juridiques le leur permettent.

Le code du travail, tout d’abord, stipule que tout salarié doit bénéficier d’un temps de repos d’au moins onze heures entre deux journées de travail : or l’utilisation d’outils connectés bat ce point en brèche quand un salarié, physiquement absent de l’entreprise le soir, continue de travailler pour elle tard chez lui. En l’absence d’accord collectif, l’employeur peut toujours déroger au repos quotidien s’il justifie d’un surcroît d’activité, mais à condition d’en avertir l’inspecteur du travail et d’obtenir son autorisation. Dans un article paru sur le site village-justice.com, l’avocate Valérie Duez-Ruff rappelle aussi que la Cour de cassation estime que « le salarié n’est tenu ni d’accepter de travailler à domicile ni d’y installer ses dossiers et ses instruments de travail ». En outre, la Cour de cassation ayant invalidé la convention de forfait-jours dans un arrêt de 2011, de nombreux cadres saisissent la juridiction compétente pour demander le paiement d’heures supplémentaires, en produisant un décompte de l’envoi et la réception de courriers numériques en dehors des horaires de bureau.

En Allemagne, de grands groupes automobiles ont pris les devants suite à une forte augmentation des troubles psychosociaux constatée entre 2008 et 2011. Chez BMW, une heure passée le week-end à répondre à des emails professionnels est considérée comme une heure supplémentaire. Chez Daimler, une application peut être installée par les employés qui le souhaitent pour effacer les mails reçus pendant le week-end. Chez Volkswagen, enfin, les e-mails ne sont plus répercutés sur les smartphone qu’entre 7h et 18h15 depuis déjà deux ans.

L’hyper connexion pose de nombreuses questions sur le travail et la société. S’il ne revient pas aux DRH d’y répondre, ils ont néanmoins tout intérêt à anticiper les problèmes que ce phénomène ne manquera pas d’amplifier dans les temps à venir. Des mesures de bon sens, comme le respect de la vie privée des collaborateurs ou un arrêt des Smartphones après 19h30, permettent déjà d’éviter de nombreuses complications. Compte tenu des risques psychosociaux et d’absentéisme pour les salariés, des risques de baisse de qualité du travail, de l’impact économique des éventuelles demandes de réparation et de l’impact possible sur la marque employeur, il appartient aux DRH d’entrer pleinement dans une logique de prévention face à l’hyper connexion. La performance sociale de l’entreprise a tout à y gagner.

Pour en savoir plus :

Un article sur les avancées du droit à la déconnexion (Souffrance et travail)