Portrait de décideur RH #28 : Jérôme Friteau – Directeur des Relations Humaines et de la Transformation à l’Assurance retraite

« Des sujets comme la diversité, l’inclusion ou la transition écologique ne prennent pas leur source dans l’entreprise, mais à l’extérieur. Si les DRH de demain parviennent à analyser ces dynamiques sociales et à décrypter ce qui mobilise les collectifs, ils pourront durablement jouer un rôle clé dans le futur des organisations. »

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Tous les mois, nous partons à la rencontre d’un décideur RH. Découvrez son parcours, les mille facettes de sa personnalité, ainsi que sa vision de la fonction RH, au travers d’un portrait empreint d’humanité et d’authenticité.

Diplômé en droit privé et en ingénierie de la protection sociale, Jérôme Friteau commence sa carrière en 2002 à l’ACOSS comme Attaché de Direction. Il gravit ensuite les échelons à la CPAM du Val-de-Marne, dirigeant dès 2010 les agences retraite de Paris et de Seine-Saint-Denis. À la tête de la DRH de la Cnav entre 2014 et 2018, Jérôme Friteau se prépare à ses responsabilités actuelles : depuis 2018, il occupe le poste de Directeur des Relations Humaines et de la Transformation à l’Assurance retraite. Avec sa double casquette de DRH et de DRH groupe, il conjugue innovation sociale et transformation organisationnelle. En sortant des cadres traditionnels, Jérôme Friteau personnalise l’expérience des collaborateurs et inscrit ses actions dans une démarche durable et inclusive.

Découvrez les inspirations et les ambitions d’un décideur RH qui redéfinit la fonction pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain.

En quoi consiste votre rôle en tant que directeur des relations humaines et de la transformation ?

En 2018, j’ai proposé de modifier mon titre, jusque-là classique de DRH, pour mettre en avant la dimension humaine de ma mission. En adoptant une double casquette de DRH opérationnel et de DRH groupe, j’ai remplacé « ressources » par « relations« . Ce choix traduit une approche axée sur les liens humains plutôt que sur une simple gestion administrative. Dans notre organisation, une direction de la performance et des moyens gère les aspects quantitatifs, tandis que ma direction se concentre essentiellement sur l’humain : le dialogue social, la gestion individuelle, le recrutement et le développement des compétences. 

Le terme « transformation » s’est ajouté pour intégrer un pôle dédié aux changements majeurs. Qu’il s’agisse de transitions technologiques, écologiques ou organisationnelles, l’humain reste au cœur des transformations. C’est en accompagnant ces évolutions que nous préparons durablement l’avenir.

Selon vous, comment la fonction RH peut-elle acquérir cette dimension stratégique et rester proche des décideurs ?

Cela passe par une meilleure valorisation des actions menées. Trop souvent cantonnée à des missions régaliennes et d’application juridique, la fonction doit communiquer sur ses missions stratégiques. Au sein de l’Assurance retraite, par exemple, nous gérons plus de 1 200 recrutements et intégrations par an sur la France et maintenons un dialogue social soutenu, orienté vers des innovations sociales, et guidons les managers pour conduire de nombreuses transformations, dans un monde du travail durablement marqué par l’incertitude. Nous menons ces missions de front et traitons également de nombreuses situations individuelles. Ces responsabilités méritent d’être mieux reconnues pour leur impact stratégique.

Y a-t-il une rencontre ou un moment décisif qui a transformé votre carrière ou votre vision de la fonction RH ?

Plutôt qu’une rencontre, je parlerais d’un cheminement. Les échanges avec mon équipe, les partenaires sociaux et le comité exécutif ont fortement enrichi ma vision. Les discussions avec des DRH, sociologues, philosophes ou universitaires m’ont également permis de prendre du recul et de nourrir une réflexion à long terme sur les enjeux de la fonction RH.

Quel a été l’un de vos plus grands défis dans votre poste actuel ?

Un défi majeur a été de répondre aux nouvelles attentes des collaborateurs en matière de liberté et de flexibilité. Nous avons travaillé sur des dispositifs tels que le télétravail, la flexibilité horaire, ou encore l’expérimentation de la semaine de quatre jours qui était encore peu répandue à l’époque. 

L’idée était de proposer une palette d’options que beaucoup, notamment parmi les plus jeunes, pensent ne pouvoir trouver qu’en devenant entrepreneurs. Bien sûr, tout le monde ne peut pas devenir entrepreneur, mais ces attentes sont désormais incontournables.

Aujourd’hui, un autre défi émerge : analyser les conséquences de cette flexibilité. Cela inclut des phénomènes comme la dislocation des collectifs, l’écart entre le travail prescrit et le travail réel, ou encore la santé mentale des salariés. Ces enjeux, notamment liés à la charge de travail et à la charge mentale, prennent une place prépondérante.

C’est ce qui rend la fonction RH si complexe aujourd’hui. Il faut sans cesse « prendre l’ascenseur », comme j’aime le dire : passer de l’individuel au collectif, de l’opérationnel au stratégique, sans se perdre dans des réunions trop éloignées du terrain. C’est un exercice d’équilibriste, mais avec une vision claire, il est possible de définir une trajectoire cohérente et ambitieuse.

Selon vous, quel rôle l’intelligence artificielle joue-t-elle dans la transformation des pratiques RH ? Quelles opportunités concrètes en découlent ?

L’IA en est encore à ses balbutiements dans la sphère RH. Nous commençons tout juste à explorer ses possibilités. Cela inclut des usages comme l’automatisation des réponses aux questions courantes de salariés , l’optimisation des de l’analyse de datas RH, que ce soit sur l’exploitation de baromètres sociaux ou de croisements d’indicateurs ou encore pour faciliter l’ingénierie pédagogique dans le cadre de parcours de formation.

Toutefois, nous sommes au tout début de l’histoire. L’implémentation de l’IA dans nos systèmes est encore limitée par plusieurs défis. Je pense, entre autres, à la gestion des données sensibles et à la sécurité des systèmes d’information. Dans notre écosystème, les données sont extrêmement précieuses, et nous devons verrouiller au maximum les risques de fuite ou de mauvaise utilisation.

Selon vous, quelles compétences sont aujourd’hui incontournables pour réussir dans la fonction RH ?

L’adaptabilité est sans doute la compétence clé. La fonction RH évolue dans un contexte de plus en plus incertain et complexe, ce qui exige une grande capacité d’adaptation. 

Ensuite, je dirais la conviction, car nous vivons dans un monde où les discours traditionnels perdent de leur impact, il devient primordial de savoir convaincre avec des arguments solides qui vont plus loin que la simple éloquence.

Une autre compétence importante à cultiver est l’empathie, au sens  cognitif, pour éviter que des silos se créent  entre différentes fonctions clés, chacune risquant de s’enfermer dans la « vérité de son expertise » : par exemple les RH, le juridique, les systèmes d’information et les cœurs de métiers. Avec l’essor du travail hybride et la diminution des interactions physiques, nous pouvons observer que les liens se fragilisent et il nous faut maintenir la cohésion.

Enfin, je parlerais de la stabilité émotionnelle. La fonction RH doit pouvoir garder la tête froide et savoir prioriser. Cette stabilité me semble capitale pour affronter les nombreux défis simultanés de la fonction.

Sur quel axe prioritaire allez-vous concentrer vos efforts avec vos équipes cette année ?

Cette année, nous avons identifié plusieurs axes de développement prioritaires. Tout d’abord, la mise en œuvre prévisionnelle d’un projet de nouvelle classification des emplois et des compétences, récemment négociée par notre fédération d’employeurs pour les quatre branches de la Sécurité sociale. C’est un projet conséquent qui répond à des enjeux importants d’attractivité salariale et de valorisation des trajectoires professionnelles. Ce projet représente une formidable opportunité de revisiter notre stratégie de gestion des emplois et des parcours professionnels. Cela occupera certainement une grande partie de nos efforts en 2025.

Un autre axe prioritaire est ce que j’appelle « le management de la performance durable ». Nous souhaitons dépasser une vision court-termiste de la performance, aujourd’hui parfois trop centrée sur des indicateurs à court-terme et des objectifs individuels normés. Ce type de management peut fragiliser l’engagement des équipes dans la durée et poser des problèmes de fidélisation. Nous redéfinissons donc la notion de performance, dans une vision plus large, pour mieux conjuguer performance économique et performance sociale, voire environnementale, et professionnaliser le suivi d’indicateurs de performance sociale incontestables, intégrant par exemple les incontournables objectifs de développement de l’inclusion.  Il s’agit aussi de monter un programme de formation des managers pour les accompagner dans ce chemin vers le pilotage de la performance durable au quotidien.

Quelle serait votre devise professionnelle ?

Je dirais : “Tout est copiable : les produits, les process, les outils, la gouvernance… sauf les femmes et les hommes.” Il ne faut pas miser uniquement sur les cadres, l’outillage ou les processus pour garantir la performance.

Selon vous, à quoi ressemblera le DRH de demain et quel rôle jouera-t-il dans la transformation des organisations ?

Je crois que l’avenir de la fonction RH dépendra de la place qu’il voudra prendre et qui lui sera accordée. Le DRH aura-t-il encore un rôle demain ? J’en suis convaincu. Pourtant, nous constatons régulièrement une tentation de la minimiser. Le DRH de demain devra être enraciné dans les relations humaines et doté d’une capacité à anticiper les évolutions, qu’elles soient liées au business ou à la société. 

Des sujets comme la diversité, l’inclusion ou la transition écologique ne prennent pas leur source dans l’entreprise, mais à l’extérieur. Si les DRH de demain parviennent à analyser ces dynamiques sociales et à décrypter ce qui mobilise les collectifs, ils pourront durablement jouer un rôle clé dans le futur des organisations.

Bio :

  • Depuis 2018 : Directeur des Relations Humaines et de la transformation à L’Assurance retraite
  • Depuis 2023 : Enseignant en Management à Sciences Po
  • 2021-2024 : Administrateur du Lab RH
  • 2014-2018 : Directeur des Ressources Humaines à la Cnav
  • 2010-2014 : Directeur des agences retraite de Paris et Seine Saint-Denis
  • 2009-2010 : Manager chez CPAM du Val-de-Marne
  • 2002-2009 : Attaché de Direction – Chef de projet chez ACOSS
  • Master 2, Ingénierie de la protection sociale à l’Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale
  • Maîtrise en Droit privé à L’Université Grenoble Alpes

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